« Car l’espace, il faut le vivre physiquement avec ses propres émotions. Il faut découvrir l’industrie spatiale dans ses usines, voir les chambres acoustiques, les chambres d’essai, regarder les techniciens qui travaillent sur les satellites comme des chirurgiens dans une salle d’opération.
Il faut suivre le compte à rebours d’un lancement, pétrifié comme tous les spectateurs dans un silence de cathédrale.
Il faut voir la source de lumière éblouissante éjectée par les moteurs fusée, ramper sur le sol puis s’élever comme un soleil sorti des entrailles de la Terre et irradier tout le ciel.
Il faut voir le panache blanc des gaz de combustion distancé de plus en plus par la fusée, se contorsionner et se figer dans le ciel.
Il faut se sentir écrasé par le bruit rageur qui tombe des nues et éclate dans un crescendo de fracas grandissants et rapprochés avant de s’éloigner.
Il faut voir les spectateurs, muets et fervents pendant le compte à rebours, absorber les images et les bruits du décollage par tous leurs pores et rester, désolés et démunis, après que la fusée messagère s’est évanouie, emportant vers un ailleurs indistinct le message incertain de l’humanité.
Il faut entendre un ancien astronaute de plus de soixante ans, déclarer, douze ans après son dernier vol : « Si l’on me propose de voler encore une fois au prix de deux années d’entraînement, je signe tout de suite. »
Il faut offrir l’accès à l’espace à un nombre toujours plus grand de Terriens. Après une période initiale réservée à des privilégiés, les vols suborbitaux dans de petits avions-fusées permettront bientôt de monter à cent kilomètres d’altitude à des prix de plus en plus raisonnables.
Un nombre toujours plus grand de Terriens découvrira alors, pour une somme modique, les courbes de la planète bleue et la chance singulière qu’a l’humanité d’y résider, dans l’univers noir, vide et énigmatique. »
Jean-François Clervoy, astronaute de l’ESA, in « Histoire(s) d’espace – Mission vers Hubble », Editions Jacob-Duvernet, 2009
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